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Urba Latin Arpilleras

un projet de Patrice Loubon, accompagné des dames brodeuses d’El Monte,

région métropolitaine de Santiago du Chili :

Mirza Andrade, Malva Contreras, Natalia Daille, Mirta Gutierrez, Fernanda Jara, Maria Olivares, Eliana Ortubia, Iris Ramirez, Emilia Sepúlveda, sous la direction d'Olga Rossel.

 

« Donnez-moi pour ma vie

Toutes les vies

Donnez-moi toute la douleur

du monde entier

car je vais la transformer en espérance

Donnez-moi

les luttes

de chaque jour

car elles sont mon chant

ainsi marcheront ensemble

coude à coude

tous les hommes »

 

Pablo Neruda

 

A propos de Urba Latin Arpilleras / Urba Latin America

Entre mars  et septembre 2003, j’ai accompli un périple de plusieurs mois dans 3 grandes villes d’Amérique Latine : Santiago du Chili, Quito, Mexico DF, mon idée est alors de constituer le portrait d’une ville imaginaire qui emprunterait à ces trois-là, à la fois par leur diversité et par leur similitude.

Je pratique pour ce projet au long cours, une photographie, dite de rue, qui consiste en la saisie sur le vif d’instants, la plupart du temps, volés. Ce qui explique le caractère « instable » de certaines prises de vue. Je m’efforce aussi de fixer de façon plus classique, une trame documentaire urbaine, vues architecturales, points aveugles, stigmates, graffitis, publicité,…
Je me propulse dans l’espace public tel une bille de flipper rebondissante, l’œil aux aguets, guettant le moindre signe éloquent qui s’adressera à moi en me livrant une fraction du sens de la rue. Beaucoup de portraits, de détails aussi, plus ou moins importants, plus ou moins visibles. J’emploie volontairement un style photographique éculé, « stéréotypé », inspiré de la photographie directe et des œuvres de Gary Winogrand, Lee Friedlander et de leur prédécesseurs Robert Frank et Walker Evans, ceci pour mieux enfoncer le clou de l’anti-reportage. Je ne raconte pas une histoire, je n’ai pas cette démarche didactique du photojournaliste, ma photographie a la couleur de la photographie de presse, mais elle ne fait qu’en prendre le déguisement formel. Mon propos est plus large, universaliste dans l’âme. Je ne vise pas la publication dans les tabloïds, je ne dénonce rien de précis, je montre ce que je veux que les gens voient, je montre ce qui m’a touché, provoqué, attendri,… récit d’un parcours, lancé brutalement au cœur de la rue.  

Suite à la mise en place de ce premier bloc Urba Latin America qui devient de fait le prototype du projet Urba III - tentative de former une ville globale/générique à partir des villes du monde- naît l’idée de partager mon travail avec des habitants rencontrés lors du périple latino-américain et d’écrire à plusieurs mains une page commune.

Ainsi, s’initie plusieurs ateliers de photographie : à Quito tout d’abord, avec des jeunes travailleurs, à Santiago du Chili ensuite, dans le quartier rebelle de la Victoria (cf. vidéo atelier La Victoria).

Une rencontre
C’est lors de ce dernier atelier que je découvre les arpilleras. Nous visitons la maison du Père André Jarlan abattu par les militaires de Pinochet alors qu’il
lit sa Bible penché sur son bureau.

Respecté et aimé par les habitants du quartier de son vivant, le Père Jarlan, fera l’objet après sa disparition de nombreux hommages populaires et notamment d’une riche production de broderies à sa mémoire, celle-ci sont nommées arpilleras.

Dès lors, je me passionne pour l’histoire de cet art et commence à s’élaborer une idée qui prend racine dans une période particulière de la production des arpilleras liée à la dictature. Ces œuvres d’art populaires ont connu dans ce contexte un développement sans précédent et une production « massive ». Les femmes qui fabriquent les arpilleras sont touchées directement par la violence de la répression du système militaire et par la dureté de la vie. Soutenues économiquement par la Vicaria de la Solidaridad (Santiago de Chile) qui achète et revend leur production à travers les réseaux de la solidarité internationale, les femmes  abordent des thématiques qui leur sont proches : disparition de parents, d’amis, difficulté de survivre, problèmes du quotidien,… Elles créent alors une forme d’art à caractère documentaire aussi riche et efficient que peut l’être la photographie quand elle se donne pour objet la représentation documentaire et critique du monde. J’ai tout de suite été fasciné par la relation qu’elles entretiennent –indirectement- à la photographie.

Ces œuvres restent aujourd’hui un témoignage esthétique vif et opérant sur la question de la conservation de la mémoire de l’époque. Au-delà, elles confirment un dessein esthétique et le projet historique qui les a conduit jusqu’à nous. Passées ces premières découvertes et pensées, commence à se mettre en route le projet en lui-même.
Le projet

Ainsi s’initie en 2005, le projet Urba Latin Arpilleras, fruit d’une rencontre avec Olga Rossel qui coordonne dans la région périphérique de Santiago du Chili les créations du groupe de femmes Arpilleristas del Monte (les brodeuses de El Monte).

L’idée est de faire se confronter des images photographiques actuelles issues de la quotidienneté de la rue latino-américaine et des images à la forme populaire issues d’un savoir-faire artisanal. Je propose donc aux dames brodeuses une sélection de mes images produites à Santiago du Chili, à Quito et Mexico DF, entre 2003 et 2005, chacune sélectionne celles qui les intéressent.

Le travail de recréation se met alors en œuvre. Une prouesse technique, reproduire l’image photographique est pour les dames un véritable défi. De rendez-vous en rendez-vous, de parole en parole, les œuvres se construisent avec patience et invention. Parfois les deux versions, photo et arpillera, se renvoient comme dans un jeu des sept différences, le réel de l’une à l’autre. D’autres interprètent plus, cherchant à transcender le document et le réalisme photographique. Dans la plupart des cas l’arpillera est plus séduisante, plus attractive que la photographie elle-même. Il y a des embellissements : rajouts de fleurs, d’arbre, un ciel bleu à la place d’un ciel gris,… Certaines arpilleras intègreront plusieurs images en une seule et l’on sent à travers ce geste, une volonté de faire discours.

Aujourd’hui, depuis que la férocité de la dictature a cessé, les arpilleras développent des contenus pittoresques pour le tourisme : paysage, bonheur de la vie aux champs, etc...

Mon idée est de redonner de l’importance historique à cet art et de revenir à une version documentaire et active de l’arpillera, qu’elle soit reconsidérée comme témoignage et mémoire sociale, qu’elle reprenne la couleur rouge de la trace du ressenti. L’un des enjeux concomitants est aussi de hisser cet art populaire à un rang qu’il mérite et qui lui fera gagner en distinction et en particularité. Une des hypothèses sous-jacentes visant à ce qu’il se perpétue et fasse école.

Parallèlement, la logique économique déployée dans ce travail comme ressort de la production artistique, me parait cohérente. Les dames ont été jusqu’à présent rémunéré d’une façon juste (le double de ce qu’elles reçoivent dans le cadre de leur production artisanale) grâce à un investissement personnel (2005) ainsi qu’aux financements reçus par mon intermédiaire, accordés au projet de la DRAC LR et du Conseil Régional LR pour l’aide à la création (2008). Ces œuvres à présent peuvent et doivent à terme être vendues, il faut pour cela que nous trouvions une dynamique qui nous propulse dans les rouages du marché de l’art, introduisant un phénomène de reconnaissance opéré par les institutions mais aussi par le marché, loin de l’artisanat.  

Une première exposition de ce travail réalisé avec les brodeuses d’El Monte, a eu lieu du 28 octobre au 30 novembre 2008 dans le cadre du festival FOTOAMERICA au Centre culturel, l’Observatorio de Lastarria, Santiago du Chili.

En 2008 une suite a été produite à cette première expérience dans le même contexte, nourrissant l’ambition d’aller plus loin. Poursuivre ensemble avec ces dames la réflexion engagée sur une pratique qui hybride les cultures et les expressions. Nous avons utilisé cette fois comme base à la création : des textes, des informations extraites des journaux quotidiens, des histoires de vie...  Cette fois, J’ai aussi appris suivant l’enseignement des femmes brodeuses, à fabriquer les arpilleras.
Il s’agit donc d’une recherche en mouvement, riche en perspective et qui pourra être par la suite amplifiée à travers un parcours dans d’autres pays, auprès d’autres populations qui ont des pratiques artistiques proches de l’arpillera.  De fait, je travaille actuellement avec deux dames, fréquentant la Maison de Quartier de la Rte d’Arles (Nîmes) sur un principe équivalent introduisant d’autres processus de représentation.

 

Patrice Loubon, février 2011

Pour en savoir et en voir plus sur les arpilleras :

http://arpillerascontemporaneas.over-blog.com/

 

Bibliographie :

BRETT Guy, Through our own eyes, Popular Art and Modern History, New Society Publishers, Philadelphia, 1987

JACQUES André, Chili, un peuple brode sa vie et ses luttes, CIMADE, Paris, 1977

SCHWARTZ Pierre et VILCHIS ROQUE Alfredo, Rue des miracles, ex-voto mexicains contemporains, Seuil, Paris, 2003

 

Petite notice sur les arpilleras


En castillan, arpillera = serpillière : grosse toile d'étoupe à tissage peu serré utilisée principalement pour l'emballage des marchandises, pour se garantir du soleil, pour protéger les vêtements.

Par extension, le nom de arpillera est donné aux créations figuratives que réalisent les femmes chiliennes pendant et après la dictature. Connues d’abord sous le nom de bordados, petit tapis brodés de laine, originaire de l’Ile Noire, cette forme d’art a une histoire au Chili, dont Pablo Neruda fut le grand propagandiste. Violetta Parra première artiste latino-américaine invitée par un musée français pour une exposition individuelle, présenta quelques uns de ses propres tapis en 1964 au Louvre.

Mais si ces bordados de l’Ile Noire ont été un point de départ, à la ville dans l’impossibilité de trouver de la laine en quantité suffisante et par souci d’économie, les femmes ont réinventé cette forme d’expression à partir de déchets de tissus et de bouts de chiffon qu’elles cousent sur de vieilles toiles. Sous la dictature, elles entreprennent ce travail tout nouveau pour elles et qu’elles n’auraient jamais imaginé pouvoir aborder, épouses de chômeurs ou de prisonniers, elles devaient trouver des moyens et faire entrer un peu d’argent à la maison.

 

Tag(s) : #arpillerascontemporaneas
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